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LUTTES DES TRAVAILLEURS IMMIGRÉS DANS LES ENTREPRISES : Mobilisations relatives aux droits des travailleurs (1970 - 2000). Quand on parle d’immigration on a souvent tendance à en parler notamment à propos des sans-papiers, du racisme, des expulsions. Certes toutes ces questions de société étaient (et sont) bien réelles et ont souvent eu un écho à travers les médias et l'opinion publique. Mais ce que l’on oubli très souvent c’est que ces questions, et les mobilisations dont elles ont fait l'objet, ont été accompagnées par d’autres mouvements tout aussi importants en particulier les mobilisations au sein du monde du travail et de l’entreprise. C’est, tout d’abord, à la faveur de l’important mouvement populaire qui mena le Front populaire au pouvoir que les travailleurs immigrés vont commencer à prendre toute leur place dans les mobilisations ouvrières. «Influencés par l’exemple des travailleurs français, stimulés par l’espoir d’obtenir la satisfaction de leurs revendications, encouragés par l’absence de répression policière ou patronale, ils participèrent, beaucoup plus nombreux que d’ordinaire, aux manifestations, aux défilés, aux grèves. (…) L’occupation des entreprises et les initiatives prises en commun sur place par les ouvriers de toutes nationalités apprirent aux uns et aux autres à mieux se connaître» (R. Schor histoire de l’immigration en France). Mais indéniablement c’est dans la dynamique du mouvement social de mai et juin 1968 que la question de l’expression ouvrière immigrée – comme la question de la visibilité de l’immigration en général - va commencer à se poser sur la scène politique et sociale. Ce sont aussi les mouvements de solidarité avec les immigrés – avec un rôle particulier pour les mouvements de l’Extrême gauche mais aussi les militants chrétiens de gauche - à partir de 1968, lesquels, en popularisant les luttes immigrées vont contribuer à une certaine visibilité de l’immigration. Des luttes qui ont permis de conquérir, dans le milieu des années 1970, des avancées importantes quant aux droits d’expression et d’organisation pour les travailleurs immigrés (droits syndicaux, comité d’entreprise, délégués du personnel…). Dans tous les conflits dans les entreprises les travailleurs immigrés ont toujours participé aux mobilisations avec l'ensemble des salariés. Mais les mouvements de luttes dans de nombreuses entreprises que nous énumérons ci-dessous, ont cette spécificité qu’ils ont été le fait d’ouvriers immigrés dans leur grande majorité ou dans lesquels ces derniers en ont constitué la cheville ouvrière. Bien souvent il sera question d’égalité des droits (à travail égal / salaire égal). Plus encore, certains de ces conflits ont pour cause immédiate l’exploitation de travailleurs sans-papiers, ou encore les conditions de sécurité et d’hygiène scandaleuses (avec très souvent de nombreux accidents mortels). Citons pour mémoire quelques exemples de luttes en entreprises de 1970 à 1983 :

USINES RENAULT DU MANS. (Mai 1971) : Grève des OS (ouvrier spécialisé) pendant 25 jours avec pour principale revendication l’amélioration des classifications mais aussi contre les cadences. Le slogan était alors nous ne voulons pas mourir OS.

PENNAROYA (1971-72) : Lyon (Gerland), usine de récupération et d’affinage du plomb où travaillent 120 ouvriers maghrébins. Les conditions de travail et d’hygiène sont lamentables et les ouvriers sont logés dans des baraquements, à côté des ateliers. Dès 1971, les ouvriers organisent des réunions entres eux, établissent une liste de revendications, désignent leurs délégués et demandent aux syndicats de les prendre en charge. La CGT ayant refusé c’est la CFDT – une section syndicale créée à l’occasion de la grève – qui se charge de les représenter. C’est surtout la mort d’un ouvrier tunisien, Mohamed Salem, écrasé par un couvercle de four de 1 tonne et demi, en décembre 1971, qui aboutira, en février 1972 au déclenchement d’une grève avec occupation qui durera 32 jours. La solidarité va aussi fonctionner à plein venant surtout des autres usines du groupe (Saint-Denis et Lyon) et même au-delà puisque des paysans du CNJA (Centre national des jeunes agriculteurs) viennent apporter du ravitaillement. Toutes les revendications sont satisfaites et en 1974 une nouvelle usine est construite. Deux documents filmés ont été réalisés retraçant cette lutte.

GIROSTEEL (1972) : Une petite entreprise de métallurgie, installée au Bourget, avec 200 salariés dont 120 travailleurs maghrébins. En février 1972 les travailleurs se mettent en grève pour de meilleurs salaires, pour les conditions de travail, le 13ème mois et les libertés syndicales. La grève est alors dirigée par une section syndicale CFDT sans le soutien de la CGT. Malgré la répression cette grève sera un succès.

LES CÂBLES DE LYON (Bezons et Gennevilliers) (1973) : Entreprise de la métallurgie avec 1700 ouvriers pour la plupart des O.S. et des manœuvres maghrébins. Pour obtenir une augmentation de salaire et la reconnaissance de leur section syndicale les ouvriers déclenchent le 22 novembre 1973 une grève avec occupation d’usine qui durera prés de sept semaines. Une autre grève se déclenchera à l’usine de Clichy en mai 1975.

ENTREPRISE SYLVERIE (Troyes) (1974) : Luttes des travailleurs mauriciens qui dénonçaient un trafic de main-d’œuvre.

ENTREPRISE BLINDEX (Marseille) (1974) : Les ouvriers de cette entreprise, en grande majorité des Tunisiens, occuperont aussi les locaux de l'ANPE de Marseille conjointement avec les employés marocains des pépinières Grégory.

ENTREPRISE GÉNÉRALE DES CÂBLES ET CANALISATIONS (Amiens et Sainte-Geneviève-des-Bois) : L’Entreprise Générale des Câbles et Canalisations (EGCC) est une entreprise qui sous-traitait des chantiers avec en particulier les PTT pour la pose des lignes. Comme souvent dans ce genre d’entreprises nous retrouvons beaucoup de travailleurs immigrés sans-papiers. Le mouvement de grève dans ce cas commence en avril 1972 par la mobilisation afin que l’un des travailleurs, Sadok Djéridi, menacé d’expulsion parce que sans-papiers, obtienne enfin une carte de travail. C’est le point de départ d’une grève sur les sites d’Amiens et de Sainte-Geneviève-des-Bois qui va élargir les revendications aux conditions de travail, de logementetc. Ce mouvement qui durera jusqu’à la fin mai 72 n’obtiendra qu’un protocole d’accord sur la grille des salaires qui laissera en suspens toutes les autres questions de précarité.

ZIMMERFER (Louviers) (1973) : Grève avec occupation, en février 1973, de l’usine Zimmerfer par 80 travailleurs, notamment des Algériens et des Portugais. L’usine sera évacuée de force par la police le 15 mars.

USINES RENAULT (Billancourt) (1973) : En mars 1973, quatre cent ouvriers des presses de l’atelier 12 de Renault Billancourt (qui comptait à cette époque 80% de travailleurs immigrés) déclenchent une grève illimitée. Cette grève prolonge en fait le mouvement qui avait éclaté en février 73 autour de la question des salaires et de la classification des OS (ouvriers spécialisés) et qui avait conduit à la création de comités de lutte et d’assemblées d’ateliers (CLA) en dehors des structures syndicales. Ce mouvement de grève va prendre de l’ampleur en avril 73, avec sept milles OS en grève à Billancourt et va de plus s’étendre aux usines Renault à Flins et Sandouville. Déjà en mai 1968 à Billancourt un premier mouvement d’ouvriers immigrés s’était manifesté de manière autonome en diffusant une plate-forme de combat au nom de l’ensemble des travailleurs immigrés de l’usine.

MARGOLINE (Nanterre/Gennevilliers) (1973) : Margoline, usine de recyclage de papiers à Nanterre. Le 21 mai 1973 prés d’une cinquantaine d’ouvriers marocains (sur 70) va déclencher une grève pour un alignement des salaires sur le Smic et de meilleures conditions de travail. La grève sera soutenue par la CFDT et le CDVDTI. Finalement après plusieurs grèves les ouvriers arracheront progressivement la reconnaissance de leurs droits et constitueront une section syndicale CFDT. (à signaler qu’un film documentaire avait été réalisé sur cette lutte en 1973).

SOMAFER (La Moselle) (1973) : La SOMAFER est une entreprise sidérurgique de Moselle qui emploie, en sous-traitance, environ 500 ouvriers, presque uniquement des travailleurs immigrés. Tous ces travailleurs sont par ailleurs logés, par l’entreprise, dans des foyers de la région. À deux reprises d’abord les 4 et 5 janvier puis du 10 au 14 janvier 1973 les 500 ouvriers se mettent en grève et constituent un comité de grève. Dans leurs revendications conditions de travail, salaire, contrat de travail mais aussi conditions de logement sont inévitablement liées.

SERNAM – SNCF (Pantin) (1973) : Au centre ferroviaire de Pantin dans la région parisienne, 170 ouvriers immigrés, employés en sous-traitance par la Sernam-Sncf se mettent en grève, le 24 mai 1973, suite à un accident mortel d’un ouvrier. Ce conflit, autour de la question des conditions de sécurité, va durer plus d’un mois.

SOLMER (Fos-sur-Mer) (1973) : Le 19 juin 1973 à l’annonce des licenciements pour fin de chantier quelques dix milles ouvriers (dont 50% d’immigrés) à Fos sur Mer dans les Bouches du Rhône, vont déclencher une grève. Violents affrontements avec la gendarmerie.

DYNAMIC (Essonne) (1973) : L’entreprise Dynamic est une PME qui fabrique des joints en caoutchouc. Comme souvent dans ce genre de PME presque tous les Maghrébins qui y sont employés sont OS (ouvrier spécialisé) ou manœuvres. À cause des mauvaises conditions de travail les ouvriers se mettent en grève durant cinq semaines, en décembre 1973.

LES HOUILLERES DU NORD-PAS-DE-CALAIS (1974, 1980 et 1987) : Pour exiger la mutation d’un chef de chantier raciste prés de 600 mineurs marocains et algériens des Houillères du Nord Pas de Calais déclenchent une grève le 17 janvier 1974. Cinq ans plus tard en 1980 un autre important mouvement de grève sera déclenché dans les Houillères du Nord. «Après vingt-deux jours de grève en Lorraine et vingt-quatre heures après l’extension du mouvement aux bassins du Nord-Pas-de-Calais, quelques cinq mille travailleurs marocains des Charbonnages de France ont obtenu gain de cause. Une convention leur reconnaît désormais, lors de la signature de leur troisième contrat à durée déterminée, «les mêmes avantages que les mineurs autochtones». «Seuls d’entre tous les salariés étrangers des houillères françaises, les Marocains ne bénéficiaient pas du statut de mineur» (cf. Le Monde oct. 1980) En 1987 les mineurs marocains ont encore une fois mené une grève de 2 mois avec occupation, pour protester notamment contre l’accord conclut entre les Houillères et l’ambassade du Maroc qui voulaient les forcer à accepter une aide au retour. Les mineurs obtiendront gain de cause après deux mois de lutte. En 1990 enfin sera constituée l’AMMN (l’Association des anciens mineurs marocains du Nord).

LES PÉPINIERES GREGORY (Aix en Provence) : En février 1974 environ 40 employés saisonniers marocains, logés dans les serres des pépinières Grégory se mettent en grève pour une carte de travail et des logements décents. Il s’agit de l’un des premiers conflits des saisonniers agricoles qui va permettre à l’opinion publique de découvrir les conditions de travail et de vie des saisonniers trop souvent ignorés.

CHAUSSON (1975) : En mai 1975 les ouvriers de Chausson, filiale de Renault Peugeot, vont déclencher un mouvement de grève dans plusieurs entreprises (Maubeuge, Reims, Asnières, Meudon, Gennevilliers). Cette grève est tout particulièrement suivie dans les ateliers de carrosserie où il y a une majorité d’immigrés. Parmi les revendications avancées il y a la parité des salaires avec l’usine Renault et de meilleures conditions de travail. Le 7 juin une grande manifestation est organisée à Asnières Gennevilliers pour protester contre l’intervention de la police. Il faut signaler le rôle des associations d’immigrés marocains (AMF et ATMF) pour contrecarrer l’action de l’amicale des travailleurs et commerçant marocains qui soutenait la direction de l’entreprise.

GRÈVE DES ÉBOUEURS DE PARIS (1974) : en 1974 les éboueurs de la ville de Paris ont lancé un important mouvement de grève. En quelques jours les habitants de la capitale ont pu prendre conscience du rôle des éboueurs. De même en 1977 ils ont déclenché une autre grève. L'armée a alors été dépêchée pour nettoyer les rues de Paris.

MAILLARD & DUCROS (LYON) (1972) : Entreprise de bâtiment qui emploie environ 350 ouvriers pour la plupart des immigrés. Un mouvement de grève est déclenché sur les 13 chantiers de la région lyonnaise du 30 mai au 13 juin 1972 suite au décès d’un ouvrier, le 16 avril, à cause des mauvaises conditions de sécurité. Ce mouvement, faute d’avoir le soutien escompté, s’est terminé par un demi-succès.

GRÈVE DES NETTOYEURS DU MÉTRO (PARIS) (1977) : En mai/juin 1977 (puis mars et avril 1980), les employés (notamment algériens, tunisiens et africains) de 5 entreprises, qui sous traitent le nettoyage du métro parisien, s’unifient et se mettent en grève durant 32 jours pour protester contre les conditions de travail, et demandent le soutien des syndicats. Ils ne trouveront que la CFDT qui était alors plus ouverte aux revendications spécifiques des diverses minorités. (Leurs revendications : salaire minimum de 2300.fr, le 13ème mois, les dimanches et fêtes travaillés, payés à 100%). Le 18 juin un grand meeting est organisé à la mutualité, à Paris, où sera aussi affirmé un soutien au Comité de coordination des foyers en lutte.

CLUB MÉDITERRANÉE (1982/83) : Confiné dans les travaux de cuisines, de buanderies, de nettoyage les employés immigrés (principalement des Tunisiens et des Marocains) du Club dans les différents villages en France sont avant tout des saisonniers dont certains depuis plusieurs années. Pour pouvoir se faire régulariser au niveau du séjour, ils demandent à leurs employeurs de leur fournir un contrat de travail. Face au refus de l’employeur ils décident de se mettre en grève au cours de l’hiver 82/83. Ce mouvement sera notamment soutenu par la CFDT et les associations d’immigrés de la MTI notamment l’UTIT (Tunisiens) et l’AMF (Marocains) compte tenu de l’importance des deux nationalités dans ce conflit.

GRÈVE DE CITROËN - AULNAY (1982) : Les grèves des OS immigrés du printemps 1982 (elles font suite à un autre conflit des OS de Renault Billancourt et de Flins, déclenché en 1981 contre les cadences et qui se sont fait connaître sous le nom de printemps de la dignité tant cette dimension était présente dans les conflits de l'automobile). « Liberté, dignité, nous ne sommes pas des esclaves » tels étaient les slogans des 3000 OS grévistes de l’usine de Citroën d’Aulnay. Grèves dures et violentes contre les conditions de travail et surtout contre les contremaîtres racistes de la CSL (heurts entre grévistes et non-grévistes), ont aboutit à faire tomber la CSL lors des élections de juin 1982 de 82 à 33% des voix et permis ainsi aux syndicats CGT et CFDT de sortir de l’état de quasi-clandestinité (la CGT est passée de 9 à 57%). Un conflit qui dura 5 semaines et qui verra se développer une réelle solidarité du monde du travail qui culmina lors de la manifestation parisienne laquelle rassembla plus de 80 milles personnes le 5 mai 1982. Les ouvriers reprendront le travail le 1er juin 1982 après avoir obtenu gain de cause sur toutes leurs revendications.

GRÈVE DE TALBOT POISSY (1983) : Entreprise de construction automobile en région parisienne. La politique de la direction de Talbot a été de recruter directement au Maroc des centaines d’ouvriers, de les terrifier par le contrôle policier de la CSL et des amicales à l’intérieur comme à l’extérieur de l’usine. Il faut rappeler que l’adhésion à la CSL était une condition pour obtenir une foule de services. Cette situation a ainsi durée des années. Fin décembre 1983, après l’annonce par la direction de l’entreprise du licenciement de plusieurs milliers de salariés, notamment des immigrés, ces derniers se mettent en grève avec occupation de l’usine. L’encadrement et les non-grévistes sont à l’origine d’affrontements violents contre les travailleurs immigrés, avec des propos racistes. C’est dans un contexte particulier que ces événements ont lieu : en 1981 la gauche arrive au pouvoir, soit 2 ans 1/2 avant. Déjà en 1982-83 dans les usines Citroën, les travailleurs immigrés avaient été à la pointe d’un mouvement de luttes qui a permis aux syndicats CGT et CFDT de sortir de la clandestinité dans cette entreprise, dominée jusque là et avec la bénédiction de l'entreprise par le syndicat maison, de type corporatiste, paternaliste et fascisant, la CSL (Confédération des Syndicats Libres) issu de la tristement célèbre confédération française du travail (CFT). En 1983, à Talbot Poissy, le Premier ministre d’alors, Pierre Mauroy, le ministre de l’intérieur, Gaston Defferre et de nombreuses personnalités de l’Etat n’ont pas manqué de jeter de l’huile sur le feu en amalgamant les ouvriers grévistes avec « les intégristes musulmans ». Les immigrés en grève de Talbot Poissy reçurent par contre le soutien des militants de la 1er Marche contre le racisme de 1983 ainsi que des militants des associations de travailleurs immigrés avec le slogan nous sommes tous des immigrés de Talbot.

Le contenu de ce blog a pour source le livre « L’immigration de A à Z » de Mohsen Dridi. Une publication 2007 de la FTCR. Vous pouvez vous procurer le livre (440 pages - Prix 5 € + envoie) au 23 rue du Maroc –75019 Paris. Tél : 01 40 34 18 15 – Fax : 01 40 34 18 15 -contact@citoyensdesdeuxrives.eu

Tag(s) : #mobilisations, #Luttes sociales
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