
ASSOCIATIONS DE JEUNES ISSUES DE L'IMMIGRATION : Association de jeunes. Les années 1982-1984. Après les tensions de la période 1979-1981, “ […] marquées par l’irruption dans le champ social d’une jeunesse spécifique, imprégnée par les conditions de vie des grands ensembles périurbains, construits hâtivement autour des années 1960-70” (R.J. Leclercq Les Politiques d’intégration des jeunes Ciemi 1989). Au contraire des associations qui se sont constituées dans les années 1970 (il s'agissait alors le plus souvent d'associations par nationalité), ces nouvelles associations sont, quant à elles, plus enracinées dans les cités et les quartiers. Certaines d’entres elles sont mêmes souvent le prolongement de groupes informels, de bandes de copains d’où l’importance de la revendication et de l’appartenance à un territoire donné (la cité ou le quartier). Mais c’est aussi en tant que mouvement en gestation, certes éclaté, mais revendiquant farouchement une autonomie, que va affirmer la dynamique associative de la jeunesse issue de l’immigration, phénomène très marqué par une forte présence de jeunes, et notamment de jeunes femmes, d’origine maghrébine. Cette revendication et surtout cette affirmation d’autonomie se fera aussi bien vis-à-vis des institutions, des organisations traditionnelles notamment de la Gauche (mouvements, partis, syndicats, associations, MJC, etc.) que vis-à-vis des associations d’immigrés plus anciennes, même si la défiance envers ces dernières s’estompera relativement avec le temps. Malgré cette ambivalence - caractère très local (lié à un territoire) et donc apparemment éclaté de ces nouvelles associations d’une part, et l’affirmation en tant que mouvement de l’autre - ce phénomène constituera un véritable fait de société tant par son ampleur et sa généralisation sur l’ensemble du territoire que par la courte période de son rapide développement (entre 1982 et 1984). Les mêmes causes et les mêmes situations produisant finalement les mêmes effets. Ainsi en quelques années seulement, toutes les grandes villes, toutes les régions ont vu se développer de nombreuses associations de jeunes (et de jeunes femmes), même si la région lyonnaise et la région parisienne vont occuper une place prépondérante au début. Il est vrai aussi que l’abrogation du décret de 1939 sur les associations étrangères en octobre 1981 a constitué un accélérateur du mouvement. Pour autant et même si le contexte a largement contribué au développement de ce phénomène, il faut, à chaque fois, rechercher et être attentif, dans le même temps, aux causes spécifiquement locales qui ont été à l’origine de la création de telle ou telle association. Ce développement associatif va donc connaître un véritable boom dans les années 1982-84 qui touchera toutes les régions. Il va notamment participer et contribuer aux grands mouvements sociaux de ces années-là et notamment les Marches pour l’égalité en 1983, 1984 et 1985 tout en bénéficiant, en retour, de leurs retombées médiatiques. Il va, plus largement, participer aux mouvements lycéens et étudiants des années suivantes (en particulier celui de 1986) ainsi que celui contre la réforme du Code de la nationalité. Néanmoins, ce mouvement qui a connu son apogée en 1983-84, va connaître un mouvement de reflux relatif à partir de 1985 ou en tout cas un « essoufflement dans ses capacités à susciter des mobilisations nationales » (M. Roux Les Politiques d’intégration des jeunes Ciemi 1989). En effet, en premier lieu, il y a les contradictions et les conflits, apparus déjà à l’occasion de la 1ère Marche en 1983 et amplifiés avec le mouvement Convergence 84 pour l’égalité (la 3ème marche de 1985 arrivera alors que le reflux est déjà largement entamé et qu’elle mettra un peu plus en évidence). Il y a également l’apparition sur la scène associative et médiatique de Sos-Racisme (1984-85) et de France Plus (1985). Enfin, les choix politiques de certains pouvoirs locaux de favoriser le dialogue avec les associations musulmanes sont autant de facteurs qui vont contribuer à accentuer cet essoufflement et ce reflux. Dès lors, vont s’affirmer au sein de ce mouvement de nouvelles tendances et des stratégies différentes sinon divergentes. Certains intérêts particuliers ainsi que les conflits de personnes et de leadership ne faciliteront pas la tâche. Pourtant, et peut être à cause de ces risques et dangers de division, un certain nombre d’associations vont chercher, très tôt, à se coordonner et même à se structurer au plan national. Ce sera par exemple l’enjeu des Assises nationales des jeunes issus de l’immigration Assises de Lyon (juin 1984) puis celles de Saint-Étienne (septembre 1984). Évidemment, il serait tout à fait erroné de croire que toutes les associations de jeunes et des quartiers s’identifiaient et participaient à ces initiatives et nombres d’entres-elles étaient plutôt focalisées sur leurs contingences locales et la gestion des relations souvent conflictuelles avec les élus locaux. Les débats au cours de ces assises vont, de fait, mettre en évidence des stratégies et des conceptions différentes au sein du jeune mouvement associatif. Les débats vont entre autre se focaliser sur la question - que l’on pourrait résumer schématiquement ainsi - du choix entre la nécessité d’une ré-appropriation de la mémoire et une alliance inter-générations et communautaire ou ouverture interculturelle. La création du Collectif Jeunes de Paris, le 17 octobre 1983 (en mémoire des victimes du 17 octobre 1961), est, en cela, significatif d’un certain choix identitaire, d’une volonté de se réapproprier une certaine mémoire. Ce collectif cherchait néanmoins à affirmer et donner, dans le même temps, un contenu social à son action comme par exemple en allant soutenir les ouvriers en lutte à Talbot Poissy en 1983. Les Assises, organisées conjointement par le collectif lyonnais et le collectif Jeunes de Paris verront finalement l’éclatement de ce dernier. Une partie des membres du collectif de Paris lancera l’initiative Convergence 84 pour l’égalité dans le but de recréer le rapport de force perdu depuis la Marche de 83. Les années suivantes vont voir se confirmer ces tendances mais les regroupements vont se constituer au fur et à mesure des situations et des événements : la lutte contre le scandaleux principe de la double peine avec la constitution du Comité National contre la Double peine ; la dénonciation des assassinats de jeunes et la solidarité qui s'exprime autour de l’Association des mères des victimes des crimes racistes et/ou sécuritaires. Ou encore les rapports tendus entre les institutions de la police et de la justice d’une part et les jeunes exprimant le refus de ces derniers d'une justice à deux vitesses. Le MIB (mouvement de l’immigration et des banlieues) de Paris et l'association Agora à Lyon en seront les principales expressions autour de la campagne Justice en Banlieue ou Résistance des Banlieues. Et enfin, la grève de la faim de Djida Tadzaït et Nacer Zaïr, en 1986 à Lyon contre le projet de loi Pasqua, et la campagne j’y suis j’y reste qui s’en est suivie. De plus, il faut replacer toute cette dynamique dans son contexte à savoir d’une part la montée de l’extrême droite, les atermoiements et les renoncements de la gauche quand celle-ci arrive au pouvoir (81-85) puis le retour de la droite et la mise en place des lois Pasqua. Par ailleurs, le débat sur la nécessité ou non de listes autonomes aux élections, la question du droit de vote aux immigrés, le thème de la nouvelle citoyenneté, vont, tour à tour, constituer autant de pôles de résistances et de mobilisations de ces associations de jeunes (et de moins jeunes) mais aussi de questionnements et de divergences. Tout est matière à débat important mais aussi matière à polémiques et parfois à division au sein de ce mouvement associatif. Une dimension toute particulière, et qui a toute son importance, est à signaler dans ce processus. Il s’agit en effet de la place et du rôle des jeunes femmes issues de l’immigration. Elles sont en effet très nombreuses et très actives dans toute cette effervescence associative. De plus, et ce n’est pas du tout un hasard, de nombreuses associations de femmes vont également voir le jour dans toute cette dynamique. Le phénomène a en fait commencé dans le milieu des années 1970. Et ce sont elles qui poseront la question de la situation des femmes et des jeunes filles (des rapports filles-garçons, frères-sœurs, la question du statut autonome des femmes dans le couple, la question de l’excision notamment pour les sub-sahariennes …) au sein des familles, dans les quartiers populaires et les banlieues (ex. les Nanas Beurs, Parfum de la terre, AFM, Nedjma, le Cerfa, les Yeux ouverts …). Plus concrètement, peut-on mesurer la réalité de ce mouvement associatif. Il serait évidemment extrêmement hasardeux de vouloir dresser une liste exhaustive de toutes les associations de jeunes (et de femmes) issues de l’immigration. Néanmoins nous en présentons ici quelques exemples ce qui permet de donner une idée de l’extraordinaire diversité du phénomène : Association AGORA (Vaulx-en-Velin), Le Grain-Magique (Saint-Étienne), Association Sahra (Marseille), Association Culture sans frontières (Cadillac), Association UTIS (Sarcelles), Associations Nahda (Nanterre), Association Sarcelles Jeunes (Sarcelles), Association Chabab (Nanterre), Association Arc-en-ciel (Noisy le sec), Jeunes de la Porte d’Aix (Marseille), Association IDRISS, Association des Jeunes de Cenon (AJC), Association Loisirs et Entraide (Bordeaux), Association Mixture (Villeneuve sur Lot), Association Can’Elles (Nice), Parfum de la Terre (Grenoble), Association Vivre (Marmande), Association des Femmes Maghrébines (AFM) (Toulouse), Association VITECRI (Toulouse), Association Oxy-Jeunes (Toulouse). Association Jeunes Contre la Galère (Pau), Association pour le Rassemblement des jeunes français musulmans (Gaillac), Association 2ème G A2G (Montpellier), l’Association de la Nouvelle Génération Immigrée (ANGI) (Aubervilliers), Association Stop la Galère (Le Havre), Club de Jeunes des Francs-Moisins (Saint-Denis), ARAJ (Aulnay s/bois), Les Craignos (Wasemme/Lille), Femmes Arabes des Ulis, Associations des Femmes de Francs-Moisins (Saint-Denis), Association Gutenberg (Nanterre), AFRICA (La Courneuve), Collectif Jeunes de la région Parisienne, Comité National contre la double peine, Association Hors la zone, Jeunes arabes de Lyon et Banlieues (JALB), Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), Nanas Beurs (Paris), NEJMA (Salon de Provence), Texture (Lille), Association Miroir (Roubaix), SOS-ça-Bouge (Bondy), SOS-Avenir-Minguettes (Lyon), Association Rencar (Nemours), Expression maghrébine au Féminin (EMAF) (Paris), l’Agence IM’Média (Paris), Vivons ensemble (Mantes la Jolie), Zaâma-de-Banlieue (Lyon), Jeunes sans visa (Manosque), Association de la Deuxième génération sans frontière (Moulins), Aïcha, Ali et les autres (Nice), Al Amal (Marseille), Association Beur ici et maintenant ABIM (Levallois Perret), Club des jeunes Beurs (Les Ulis)… et bien d’autres encore. (cf. "L'immigration de A à Z")