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Mohsen Dridi

L’immigration de A à Z une visite guidée à travers quelques thèmes

1/ Les associations : De la plus ancienne, comme par exemple la Ligue des droits de l’homme (LDH) créée en 1898, en pleine affaire Dreyfus, jusqu’aux associations nées à la suite de l’abrogation, en 1981, du décret de 1939, en passant par l’Etoile nord-africaine, née en 1926, nous avons cherché à mettre en évidence les principales périodes et les contextes qui ont vu se développer les associations liées à l’immigration. Les années 1960 et 70 (et surtout de 1970 à 1977) où vont surtout voir le jour les associations par nationalités et un grand nombre d’associations de solidarité avec les immigrés. Une seconde période qui coïncide avec l’abrogation, en octobre 1981, du décret de 1939 sur les associations étrangères, au cours de laquelle vont se créer - à côté, bien entendu, d’associations plus classiques de type socioculturel ou par nationalité - des centaines d’associations de jeunes et de femmes issues de l’immigration. Serait-on alors entré, avec ces nouvelles associations, en raison notamment de leur ancrage local et des nouvelles formes de militantisme et qui viendrait remplacer la précédente ? Pourquoi pas. Mais, les choses ne sont pas aussi simples.

À ce stade on ne peut faire l’économie d’une réflexion à propos des expériences de regroupements associatifs en général, et plus particulièrement des deux expériences qu’ont été d’une part la MTI (Maison des travailleurs immigrés) de 1973 à 1982, de l’autre le CAIF (Conseil des associations immigrées en France) de 1984 à 1992. Un effort de bilan de ces deux expériences qui ont traversé deux décennies (et quelles décennies) dans la vie de l’immigration et du mouvement associatif, reste à faire. D’autant que des expériences analogues ont été tentées également au niveau local et/ou régional (voir le CAIB à Blois, l’UAIR à Rennes…). En tout état de cause l’existence même de ces coordinations inter-associations est en quelque sorte un « pied de nez » à cette accusation-épouvantail de communautarisme. Plus généralement, peut-on – et avons-nous suffisamment de recul pour - avancer l’hypothèse de l’existence d’un mouvement associatif issu de l’immigration. Ou peut-être, faudrait-il plutôt distinguer différentes expériences associatives (certains parlent même de modèles associatifs ayant des caractéristiques propres : Portugais, Italien, Espagnol, Maghrébin, d’Afrique Sub-saharienne, Turc). Là, il convient également de préciser que dans le contexte de l’immigration les facteurs qui fondent l’identité d’une association et du même coup son objet et sa raison d’être (comme l’identité d’une personne) ne sont jamais exclusifs. Une association est au carrefour d’identités multiples et d’influences diverses, celles d’un ici et celles d’un là-bas, celles d’avant et celles de maintenant, Celles du particulier et celles du général. Ainsi l’existence de chaque association relève et s’explique tout à la fois de conditions spécifiques et locales mais aussi de conditions communes à d’autres associations d’une même origine (marocaines, tunisiennes sénégalaises, turques, antillaises, portugaises…), mais également de conditions générales communes, par exemple, à l’ensemble de l’immigration en France. Et les choses se complexifient encore, notamment pour les personnes, si l’on ajoute à tout ce processus, à cette mixture, le fait d’être dans le même temps salarié(e), membre d’un syndicat, parent d’élève voire militant(e) d’un comité de locataire etc.

Un mouvement associatif – en tout cas pour ce qui concerne les immigrations non-européennes - qui a eu à gérer et à supporter le poids (le fardeau ?) de tous les problèmes et questions qui se posaient aux populations issues de l’immigration. Faut-il y voir tout simplement un passage inévitable de politisation du social, ou encore une politisation par le bas, faute d’autres voies d’expression, en raison de la crise du modèle d’intégration à la française et des blocages de ses principaux instruments ou ascenseurs sociaux comme aiment à dire certains (l’école, l’armée, les corps intermédiaires, les organisations du mouvement ouvrier…). En un mot, il se serait passé, il se passe avec l’immigration (non-européenne et tout particulièrement d’origine maghrébine, sub-saharienne et sans doute aussi turque) l’inverse du cheminement observé en d’autres périodes où la politique était au contraire un passage quasi-obligé pour manifester tantôt une résistance à l’exploitation tantôt un moyen et un processus d’ascension sociale, individuelle ou collective. Comme cela s’est passé par exemple avec les entités, les cultures et les langues régionales ou les classes sociales (paysans, ouvriers) au cours des décennies après la Révolution de 1789 ou même avec les immigrations d’origines européennes, au cours du siècle qui vient de s’écouler. Est-ce parce que cette crise du modèle d’intégration à la française d’une part et le statut (notamment au plan juridique) des migrants de l’autre rendent, de fait, très imprécise la frontière entre le social et le politique et où inévitablement «le domaine social tend à devenir le champ d’une certaine vie politique qui s’extériorise par d’autres moyens» (M. Roux). Il aurait constitué, selon nous, durant ces trois décennies le champ quasi exclusif de la parole immigrée. Et le mouvement associatif le moyen par lequel cette parole s’est exprimée.

Un mouvement associatif qui, bien que très attaché à la réappropriation de sa mémoire – et peut-être même en raison de cet attachement - et d’une histoire qu’il considère comme porteuse d’une partie de son identité, s’est néanmoins et le plus souvent situé, malgré tout, à l’intérieur de l’espace et du débat démocratique et laïc. N’en déplaise à ceux qui, n’en démordant pas, s’évertuent à nous répéter que cette démarche associative entre soi procède d’une dérive communautariste. Son affaiblissement, la marginalisation dont il a été l’objet au cours des années 1980-90 et l’instrumentalisation de certaines de ses revendications, ont eu pour effet d’ouvrir une brèche ou plutôt un boulevard, aux associations se réclamant d’un islam militant. Celui-ci, opérant depuis le milieu des années 1970, et répondant à une demande légitime d’islam, s’est attaché, dans un premier temps, à un travail par le bas (lieux de culte, abattage rituel des animaux, écoles et cours de langue arabe…). Et dans un second temps, «face à un fort émiettement et à un relatif désarroi associatif des jeunes issus de l’immigration» cet islam a fini par «apparaître comme la seule force dynamique en position de négocier sa place face aux pouvoirs publics et aux partis» (M. Roux). Et nous revoilà, à nouveau, dans une phase d’épuisement du modèle militant introduit par les associations de jeunes dans les années 1980. Eternel recommencement.

2/ La question du séjour et donc du statut juridique des immigrés : nulle autre question n’a autant marqué, et ne marque encore autant, la vie des immigrés. Aucun immigré, a fortiori aucun étranger, ni même aucune personne issue de l’immigration – fut-elle de nationalité française - ne peut échapper à ce tamis ou à ce filet à multiples mailles que constitue la réglementation sur le séjour des étrangers. Chacun a été, est et sera un jour rattrapé par les gardiens de la règle. Et pour citer Ch. Bruschi «c’est le droit lui-même qui suscite les zones de non droit» (cf. Colloque Les politiques d’intégration des jeunes issus de l’immigration 1988). Qui plus est et pour reprendre A. Spire qui explique qu’avec la mise en place de la nouvelle politique de l’immigration à partir des années 1972-74 on va assister à «l’institutionnalisation d’une nouvelle catégorie administrative du «clandestin» ; laquelle inaugure un lent et inexorable processus de précarisation de l’ensemble des catégories issues de l’immigration, génération après génération. Avec toujours l’obsession permanente du contrôle social des classes dangereuses et la vision sécuritaire des étrangers. Ce phénomène remonte aux années 20 et aux structures d’encadrement de l’immigration algérienne avec la SAINA et la fameuse rue Lecomte tant dénoncée, en son temps, par l’Etoile nord-africaine. Deux sous-thèmes composent cette partie importante : d’une part, les multiples instruments de la politique gouvernementale avec ses lois, ses circulaires, les organismes chargés de la mise en application de cette politique, de l’autre les actions et les moyens de résistance des immigrés. Réglementation sur le séjour avec son lot d’arbitraire tels les Charters de la honte, mais aussi avec ses aspects plus positifs comme l’instauration de la carte unique de dix ans qui a été un facteur de stabilisation incontestable pour des millions de personnes. Moments de résistance aussi par les actions multiformes et notamment la grève de la faim. Forme de lutte non-violente (sauf pour ceux et celles qui la font puisqu’ils se font violence à eux-mêmes) qui a traversé toutes les périodes (puisque depuis 1973 des mouvements de sans-papiers éclatent de manière récurrente tous les 5 à 10 ans), toutes les régions, toutes les communautés (ou presque) et toutes les générations. Grèves de la faim, comités de soutien, mouvement de solidarité, mais aussi lieux refuges pour les sans-papiers – comme l’ont été de nombreuses églises, temples et paroisses - devenus lieux de ralliement et donc de mémoire. Et quelle mémoire ! Quand on songe que certains de ces lieux – ceux des quartiers populaires de l’est parisien par exemple (Belleville, Ménilmontant, Charonne…) - sont chargés d’une histoire qui remonte à la Commune de Paris de 1871 et même avant (les Révolutions de 1789, 1830, 1848). La révolte des exilés, disait-on alors des Communards pour stigmatiser les ouvriers et habitants de ces quartiers qui avaient été successivement rejetés et expulsés du centre de la capitale au fur et à mesure que celle-ci étendait son territoire et surtout dès 1850 avec les grands travaux haussmanniens. Les sans-papiers qui occuperont ces lieux, ces quartiers, un siècle plus tard, avec leurs grèves de la faim ne sont, au fond, pas si orphelins ni étrangers que cela.

3/ Le terme et le thème médias est à prendre ici autant dans son acception générique - c’est à dire couvrant l’ensemble des domaines de l’expression culturelle et artistique – que dans les diverses formes, supports et moyens à travers lesquels cette expression s’est manifestée. L’ensemble évidemment ramené aux particularités de l’immigration et au contexte de la période que nous traitons ici. Foisonnement artistique dans les domaines du théâtre, de la musique et du cinéma disions-nous plus haut à propos des années 1970. Peut être, mais qui, aujourd’hui, se souvient encore du Bendir déchiré de la troupe Acharrua ou encore du Théâtre témoin ou même de Week-end à Nanterre et de la mouvance Rock Against police ou des films comme La noire de…, Les ambassadeurs ou O Salto ? Que peuvent signifier, pour certains, tous les combats des années 1970 pour le droit à l’alphabétisation et à la formation ? Que retenir des expériences journalistiques qu’ont été, successivement, Sans frontière ou Baraka ? Sans parler des nombreuses feuilles de choux et publications associatives qui ont existé à la même époque et qui constituent (elles l’ont en tout cas été pour la rédaction de ce document) une source d’information inestimable à la fois riche, diversifiée et surtout différentielle ?

Que reste-t-il du combat des radios libres de la fin des années 70 et début 80 ? La plupart de ces expériences, il faut le souligner, ont été d’abord et surtout le fait de militant(e)s amateurs. Gesticulation éphémère et sans lendemain d’une minorité agissante ou reflet d’une culture populaire ? D’une contre-culture ? Quoi qu’il en soit : de par leur contenu, ces expériences culturelles, journalistiques et ces formes et expressions artistiques ont été aussi le reflet d’une époque. En cela elles gardent toute leur pertinence.

4/ De cette jeunesse issue de l’immigration qui défraye régulièrement la chronique depuis les années 1979-80, que l’on a d’abord encensée, après la 1ère marche en 1983, la préférant à la génération des parents que l’on disait moins apte à s’intégrer, avant de re-pointer sur elle un doigt accusateur, stigmatisant ses moindres faits et gestes comme un comportement asocial donc hostile, comme on traitait jadis les classes dangereuses. Oubliant au passage que l’irruption de cette jeunesse, issue des conditions de vie des grands ensembles périurbains et des banlieues, est avant tout le résultat de la crise apparue à partir du milieu des années 1970, des blocages sociaux qui en découlaient, et qui maintiennent et fixent cette jeunesse dans une situation de galère, de chômage, de discrimination qui plus est de stigmatisation. Discrimination et stigmatisation naguère contre leurs parents et aînés jugés non intégrables, aujourd’hui contre eux-mêmes. D’où le sentiment profond et largement partagé que, finalement, bien que Français, il n’y a pas plus de place pour eux parce qu’enfants d’immigrés (étrangers ou même Antillais). Crimes racistes et/ou sécuritaires, double peine, rapports douloureux avec les institutions judiciaire et policière… Le tout dans un contexte de lente et progressive lepénisation des esprits qui a débuté dans les années 1980. Une certaine banalisation des thèses de Le Pen dans les discours politiques aussi. Mélange explosif s’il en est.

Et Les explosions sociales dans ces banlieues n’ont pas manqué au cours des deux dernières décennies. Une fois encore, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Mais aussi entrée fulgurante dans les champs, social et politique (en y privilégiant surtout l’idée de citoyenneté) ou artistique en tant que mouvement (en particulier sous sa forme associative comme nous avons tenté de l’expliquer plus haut) revendiquant encore et toujours une certaine autonomie. Et une mémoire aussi. Du moins, comme le conçoit et l’écrit le MIB (Mouvement de l’immigration et des Banlieues) : « le combat pour la mémoire est essentiel à l’intégrité de l’histoire des luttes de l’immigration, trop souvent dénaturé par des lectures sélectives qui en altèrent le sens historique et la qualité de ses véritables acteurs. Qu’il s’agisse des immigrés qui ont résisté contre l’occupant nazi (MOI : main-d’œuvre immigrée), ou des acteurs de la Marche des Minguettes (1983 «acte de naissance» du mouvement jeune immigré), ignorés des manuel d’Histoire, les protagonistes de ces luttes s’inscrivent dans une démarche d’émancipation».

5/La citoyenneté, les droits politiques doivent être pris ici au sens général du terme, englobant, à la fois, la participation politique et électorale, les droits d’expression des travailleurs en passant par la réflexion et la participation citoyenne et associative. Traiter du thème de la citoyenneté c’est parler de participation et d’expression. Or, cela a déjà été signalé, c’est justement dans le domaine de l’entreprise, pour le droit d’expression des travailleurs immigrés, que les avancées en matière de droits syndicaux ont été significatives, bien qu’il reste encore des espaces de liberté à conquérir (comme par exemple l’éligibilité dans les conseils de Prud’homme, l’ouverture de la fonction publique…). Il sera aussi question, au début des années 1970, des Commissions extra municipales, qui ont été, avant tout, le fait de quelques mairies ainsi que des structures associatives et de militants en solidarité avec les immigrés.

Cette démarche de participation locale ira un peu plus loin au cours de la seconde moitié de la décennie 80, avec, notamment, les expériences de l’élection des conseillers associés de Mons-en-Barœul puis de la Commission extra municipale d’Amiens. Décennie qui a vu un mouvement associatif en développement, qui a vu également la dynamique des Marches contre le racisme, la mobilisation autour du droit de vote des immigrés, celle aussi contre la réforme du Code de la nationalité… Décennie au cours de laquelle vont être posés quelques uns des éléments fondateurs du débat sur l’élargissement et l’approfondissement de la démocratie et la question (l’exigence ?) d’une nouvelle citoyenneté notamment avec l’association Mémoire Fertile et l’organisation des Etats généraux de l’immigration. Etions-nous alors, avec l’idée de nouvelle citoyenneté, en présence d’une nouvelle culture politique et de nouvelles pratiques alternatives, en gestation, qui viendraient bousculer les règles traditionnelles de l’accès et la participation politiques ? S’agissait-il d’un processus vers une nouvelle citoyenneté dans lequel le mouvement associatif issu de l’immigration jouerait un rôle particulier mais dont les perspectives et les débouchés débordent le seul champ de l’immigration ?

Le droit de vote des immigrés a été un thème récurrent depuis la fin des années 1970. Nombre de colloques lui ont été consacrés. De nombreuses chartes des droits ont été rédigées, surtout par le mouvement associatif. Il faut reconnaître néanmoins que les associations d’immigrés des années 1970 ont mis un certain temps avant de s’engager concrètement dans la revendication du droit de vote (pour les mêmes raisons que la nationalité) considérant celle-ci comme partie prenante de la politique d’assimilation. C’est l’entrée en scène des associations de jeunes qui a joué un rôle catalyseur dans la dynamique, obligeant, objectivement, les associations d’immigrés à accélérer leur positionnement en faveur du droit de vote. Le thème a été porté par nombre de collectifs et comités. Et cela durant 3 décennies avec des débats et des polémiques sur l’intérêt et les limites de ce droit : droit de vote au niveau local, national, européen ; ou encore droit de vote avec ou sans éligibilité… Avec aussi les tentatives d’instrumentalisation de ce thème depuis 25 ans et surtout les atermoiements et les renoncements de la gauche au pouvoir après 1981.

Mais, au-delà de ces interrogations, ces polémiques et ces atermoiements, ce sont les engagements plus concrets et l’inscription dans le champ politique qui vont marquer les dernières expériences en la matière et tout particulièrement au cours de la 2ème moitié de la décennie 1990 : Tantôt c’est la mobilisation pour l’inscription sur les listes électorales et l’utilisation de son bulletin de vote comme moyen pour faire pression sur les élus et les candidats. Tantôt c’est la mobilisation autour d’une liste autonome ou alternative comme à Lyon, Lille, Marseille ou dans la région parisienne. Aujourd’hui encore, le débat est loin d’être clos et n’a pas du reste épuisé tous ses arguments, ses enjeux. De même, il n’est pas à l’abri des risques, toujours présents, d’instrumentalisation. Donc toutes les alternatives restent ouvertes.

6/ S’agissant du logement, deux éléments apparaissent très clairement : en premier lieu, la permanence, dès les années 1960, de la précarité, des discriminations et des grandes difficultés pour les immigrés (célibataires ou en famille, sans-papiers ou en situation régulière) pour accéder à un logement décent. Des bidonvilles en passant par les cités de transit, les marchands de sommeil et les règlements quasi-militaires de la vie en foyer, et pour finir, les expulsions brutales, voire les incendies criminels, tout, absolument tout témoigne de cette grande précarité. Cette précarité porte cependant un nom puisqu’elle est le résultat d’une politique discriminatoire fondée sur la relégation des populations immigrées venues en masse en France après la seconde guerre mondiale. En effet faut-il rappeler que celles-ci vont d’abord s’installer dans l’ancien parc immobilier des centres-villes, plus accessible mais insalubre. Encore que ces immigrés n’ont rien inventé et surtout pas dérogé à la règle qui veut que, et ce depuis des siècles et tout particulièrement depuis le 19ème siècle, les classes populaires (les ouvriers, les paysans, les démunis de toutes sortes) soient systématiquement repoussées hors les centres villes, vers les zones, les périphéries et les banlieues). Alors que Paris s’agrandit en annexant les faubourgs environnants poursuivant inéluctablement le processus d’expulsion. Dans les années 1960, c’est la décision de rénover ces centres-villes qui va rejeter les occupants des logements vers les zones périphériques où se constituent de nombreux bidonvilles. Ensuite, c’est pour détruire ces bidonvilles que l’on a installé les habitants dans les cités de transit, lesquels se retrouveront finalement dans les grands ensembles des banlieues à la périphérie des villes. Et, insiste P. Weil, «l’abandon des immigrés d’après-guerre sur le marché du logement précaire et insalubre n’a jamais pu être rattrapé» (cf. Immigration, intégration, discriminations). Mais cette précarité et ces discriminations ont toujours donné lieu à une résistance. Résistance multiforme de la part des populations concernées, avec toutefois une place particulière à la lutte des foyers qui constitue l’une des luttes les plus longues (de 1975 à 1980) avec le Comité de coordination des foyers en lutte et à la fin des années 1980 avec la multiplication des occupations de logements vides et l’action d’une association comme Droit au logement (DAL)..

7/ Les luttes ouvrières immigrées ont mis en évidence cette particularité que des secteurs industriels ainsi que des entreprises – et non des moindres - étaient presque entièrement basées sur l’emploi immigré, avec évidemment des conditions de travail, d’hygiène et de sécurité, de rémunération sans équivalent et défiant toute concurrence. En particulier dans les années 1960 et 1970, apparaît très clairement cette relation directe entre l’emploi d’une part, les conditions de logement et la situation administrative des immigrés de l’autre. Ainsi, les sans-papiers de cette époque constituaient véritablement la main-d’œuvre privilégiée de certaines entreprises de la métallurgie et notamment de l’automobile, des mines, de l’industrie chimique ou du bâtiment (il faut se rappeler qu’avant les premières mesures des années 1973-74 les travailleurs immigrés pouvaient alors tout simplement faire régulariser leur situation après avoir trouvé un emploi). Dans les années 1980, ce sont les entreprises de services et de sous-traitance qui seront dénoncées par leurs salariés dans des mouvements de grèves importants. Il en est de même de l’agriculture (notamment dans le sud de la France) comme du tourisme, secteurs dont la survie dépend en partie de l’emploi saisonnier.

Ce sont les luttes ouvrières impliquant un grand nombre de travailleurs immigrés qui ont permis de mettre en évidence cette exploitation et les conditions de travail déplorables. Bien au-delà même, car la revendication de l’égalité des droits entre travailleurs français et immigrés a permis des avancées encore plus importantes pour tous les salariés. C’est par exemple grâce aux luttes dans l’industrie automobile avec le slogan « nous ne voulons pas mourir O.S » que des améliorations dans les conditions de travail à la chaîne, les classifications, les rémunérations ont été obtenues pour tous. Toujours dans ce secteur automobile, à Talbot, Peugeot ou Citroën, ce sont notamment les luttes immigrées - au moment des restructurations et des plans sociaux - qui ont favorisé, à la fois, l’éviction des syndicats maisons de type corporatiste, paternaliste et fascisant comme la C.S.L (ex-CFT) et du même coup ouvert la voie à la reconnaissance des syndicats représentatifs et plus démocratiques (CGT, CFDT…) au sein de ces entreprises.

Ce survol d’une période cruciale pour ce combat, dans sa double dimension - immigrée et ouvrière - a donc vu la reconnaissance, dans une très large mesure, de l’égalité des droits sociaux et syndicaux dans l’entreprise. Il est tout aussi intéressant de relever, pour la petite comme pour la grande histoire, l’évolution de la condition ouvrière immigrée, d’une époque à l’autre, à travers les slogans. Il en va ainsi du fameux « travailleurs français - immigrés une seule classe ouvrière » ou encore « même patron – même combat » largement repris durant les mobilisations et manifestations dans les années 1970. Nous sommes passés, deux décennies après, à un effacement presque total du caractère spécifiquement ouvrier dans les slogans, pour laisser place au slogan plus classique et plus consensuel des années 1980 « Français – immigrés solidarité ». Deux décennies marquées notamment par la crise économique, les restructurations et un processus de désindustrialisation d’une partie de l’appareil productif, entraînant chômage, déclassement et précarité pour de nombreuses catégories de la population d’origine ouvrière et/ou immigrée (touchant parfois deux générations et plus). Dans ces conditions, il n’est pas du tout étonnant de voir se diluer – voire se perdre - pour les uns la notion d’identité et d’appartenance de classe, et pour les autres la simple référence à la notion même de travail (qu’une majorité parmi les jeunes n’a même jamais connue). Comme l’indique Yvan Gastaut «les travailleurs immigrés sont devenus un élément incontournable de l’identité ouvrière au moment où celle-ci était remise en question, la première génération immigrée a été la dernière génération du mouvement ouvrier». Il est vrai comme le signale P. Weil «pour la première fois depuis que la France est un pays d’immigration, les immigrés, leurs enfants et même leurs petits-enfants doivent affronter depuis trente ans un chômage persistant» (cf. Immigration, intégration, discrimination). Alors est-ce le signe d’un déclin du rôle économique de l’immigration ?

Déclin ? Peut-être. Et même sans doute dans les secteurs industriels et les grandes entreprises ayant eut recours à une main-d’œuvre immigrée nombreuse, concentrée et taylorisée, mais aussi, relativement fortement syndicalisée (notamment les mines, la sidérurgie, la métallurgie, la chimie, l’automobile). Mais ce déclin n’est-il pas d’abord le déclin de ces secteurs industriels (et du même coup, évidemment, de cette forme d’organisation taylorisée du travail et de l’emploi immigrés). Mais pas nécessairement du rôle économique des immigrés en général. Car de nombreux autres secteurs (agriculture, hôtellerie, restauration, textile, tourisme, BTP, les services), là où l’emploi saisonnier, temporaire et le travail au noir (bref tout l’éventail du travail précaire) restent prédominants et essentiels, sont encore demandeurs de main-d’œuvre immigrée, y compris de sans-papiers. Cela préfigure-t-il les formes que prendra le travail salarié en général dans un monde dominé par l’ultra libéralisme ? On savait l’immigration révélatrice de l’état de la société, serait-elle également le champ d’expérimentation de nouveaux statuts précaires avant leur application et leur généralisation à toutes les autres catégories de travailleurs ?

8/ On ne peut aborder l’histoire et la mémoire de l’immigration en France (mais c’est certainement valable dans tous les pays d’immigration) sans rencontrer ces maladies honteuses que sont : le racisme, les discriminations et la xénophobie. Non seulement maladies honteuses mais aussi dérives assassines avec leur lot de violences verbales (seuil de tolérance, préférence nationale…), d’agressions physiques, d’attentats et finalement d’assassinats. Ces agissements ne sont pas l’apanage de quelques crânes rasés ou de simples «bavures» policières. Discriminations à l’embauche, au logement, contrôles aux faciès, crimes racistes et/ou sécuritaires. Stigmatisation d’une population, d’un groupe… tel est le point de départ et le point commun de ces dérives. De l’acte plus ou moins isolé d’un voisin, souvent partisan de la légitime défense, une arme à feu à portée de main, jusqu’à la répression sanglante du 17 octobre 1961 ou encore la multiplication des assassinats de Maghrébins (parce que Maghrébins) par des groupements fascistes. Mais plus insidieuse encore est la lente et progressive lepénisation des esprits qui a commencé gangrener la société à partir des années 1980. Et ce ne sont certainement pas les atermoiements ou les renoncements de la gauche gouvernementale, à partir de 1981, qui inverseront cette tendance. Bien au contraire. C’est davantage la solidarité concrète née de l’intérieur même de la société civile, d’organisations non gouvernementales (ONG) et d’associations de soutien aux immigrés, et surtout du fait de l’engagement personnel de citoyens au contact des conditions de vie, au quotidien, de ces derniers, qui va alimenter la résistance au racisme et à la xénophobie.

9/ Enfin et pour clore cette brève présentation thématique signalons quelques termes relatifs à l’Europe et l’immigration. Une dimension avec les deux aspects qui dominaient les débats : d’une part les gouvernements qui tentent de mettre en place une politique de contrôle aux frontières de cette Europe (les accords de Schengen notamment). De l’autre, les associations d’immigrés et de solidarité qui, tout en essayant de suivre cette construction, cherchent surtout à en limiter les conséquences négatives sur les droits des immigrés et en particulier des non Européens. Dès la fin des années 1970, notamment avec la première élection du Parlement européen au suffrage universel, en 1979, les associations de certains pays d’Europe (notamment de Belgique, de France, des Pays-Bas, d’Allemagne…) vont chercher à coordonner leurs efforts et multiplier les rencontres. Ces dernières donneront lieu à diverses chartes et plates-formes revendicatives sur les droits des immigrés en Europe. La décennie suivante va accélérer le phénomène et l’on va voir se créer des structures inter associatives plus ou moins permanentes telles que le CAIE (Conseil des associations d’immigrés en Europe), Migr’Europe, le Forum des migrants… Toute cette dynamique restera néanmoins confinée à quelques pays et quelques réseaux ayant par ailleurs déjà des structures de coordination comme les Espagnols, les Portugais, les Italiens, les Turcs ou plus récemment les Marocains.

Quelques mots pour finir : L’immigration de A à Z n’est qu’une modeste contribution au travail de mémoire. Nous sommes tout à fait conscients des insuffisances et des manques. Insuffisances en raison d’abord du caractère descriptif de la méthode utilisée. Et nombre de lecteurs resteront, sans doute, sur leur faim notamment en termes d’analyse en profondeur. Mais là n’était pas l’objet premier de ce travail. Insuffisances aussi du fait que nombres d’évènements, dans les régions hors l’Ile de France, n’ont pas été évoqués ou ont été insuffisamment traités (simple oubli ou conséquence, une fois encore, d’un certain parisianisme ?). Un travail d’actualisation, pourra, nous l’espérons, combler ultérieurement ces insuffisances.

Mohsen Dridi

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